La Papeterie Tsubaki, un hymne à l'écriture manuscrite


La Papeterie Tsubaki d'Ogawa Ito, est une pépite sensorielle. Hymne à la dégustation de l'écriture manuscrite et de la calligraphie japonaise, ce roman empli de saveurs nous invite à suspendre notre temps et nous plonge avec bonheur dans un univers japonais, subtil et délicat.

Hakoto (l’enfant aux pigeons en japonais), reprend la papeterie de sa grand-mère, après plusieurs années passées à l'étranger. Jeune adulte, elle décide de prendre soin de l'arbre aux camélias, le Tsubaki, adossé à la papeterie, protecteur de la maison et sentinelle de son enfance.

Élevée par une grand-mère impersonnellement nommée l'Aînée, elle a appris à son contact les caractères de l'écriture japonaise. Enfant, elle est fascinée par le bâton d'encre, auquel elle prête des qualités gustatives aussi délicieuses que celles des meilleures friandises. Sa curiosité et son désir la poussent à prendre et à manier le pinceau confectionné par sa grand-mère à partir de ses cheveux de bébé. L’Aînée, stricte et exigeante, lui transmet les règles et les codes calligraphiques, alliant la précision des mots à celle du geste graphique.

«Écrire le nom du destinataire sans faire d'erreur est la première des règles de correspondance que l'Ainée m'a enseignée. L'adresse est le visage d'une lettre, répétait-elle. C'est pourquoi, il faut y apporter un soin particulier, la tracer d'une belle main claire.»

« Femme du pinceau à tout faire », s'inscrivant dans une lignée imaginaire de femmes calligraphes, Hakoto devient écrivaine publique. Elle rédige missives, billets doux, vœux d'été ou pour la saison pluvieuse. Et même, des lettres au paradis pour les défunts. Les lettres de divorce sont particulièrement émouvantes : elles font part au destinataire de la séparation d'un couple sans jamais l'indisposer.

Cette attention portée au destinataire est réfléchie, définie grâce aux nuances langagières et au choix des matériaux employés pour la lettre. Grain, texture et velouté du papier, choix de l'instrument scripteur, couleur de l’encre, dense ou délayée : tout est minutieusement déterminé de façon implicite en fonction du message adressé et de son intention.

« Si l'enveloppe est un visage, le timbre est le rouge à lèvres qui donne le ton. En se trompant de rouge à lèvres, on fiche en l'air le reste du maquillage. Ce n'est qu'un petit timbre mais c'est tellement important. Dans ce choix se concentre dit-on la sensibilité de l'expéditeur. »

L'élan du geste est aussi mesuré en fonction de l'impétuosité ou de la vivacité des sentiments retranscrits.


Une cérémonie

La même réserve attentive est prodiguée par Hakoto à ses clients. En guise de bienvenue, en préalable, elle leur offre une boisson. Puis elle leur pose des questions précises, avec parcimonie, en veillant à ne jamais les importuner. L’Aînée lui a appris à regarder les mains de ses clients plutôt que leurs yeux.

Hakoto reprend à son compte cet art épistolaire dans le respect des traditions codifiées, qui rappellent la cérémonie du thé. Une stèle fleurie, mémorial des lettres, est dressée en l'hommage à cet art : l'eau des fleurs y est changée chaque jour. Une fois par an, un rituel est dédié la destruction des lettres de correspondance, les adieux aux lettres.


Le visage de la lettre

Agent double de ses clients, Hakoto prend la plume pour les aider à exprimer au plus près leurs sentiments. Elle s'imprègne de leurs affects pour les restituer sur cette surface sensible qu'est le papier. Hakoto vit dans sa chair ces rencontres avec ses clients, et les retranscrit de manière sensorielle. Pour une lettre de deuil, elle ajoute ses propres larmes à l'encre pour en délayer sa couleur. La lettre devient miroir, visage, reflétant des états d'âme et d'humeur. Elle doit être l'incarnation de la personne avec son image, son odeur, ses qualités.

« Bref, l'écriture c'est comme une réaction physiologique. On a beau vouloir écrire joliment, quand la main ne suit pas, on n’y arrive pas. On peut se tordre de douleur par terre et souffrir tous les maux de la terre, quand cela ne vient pas, rien n'y fait. L’écriture est ce genre de monstre. C'est alors que soudain la voix de l'Ainée a murmuré à mon oreille: c’est avec le corps qu'on écrit. En effet, peut-être n'avais-je utilisé que ma tête. »

Hakoto trace et retrace corporellement des moments de l'histoire personnelle de ses clients : deuil, mariage, naissances... À travers ses rencontres, par l'écriture, elle retrouve elle-même des moments de son enfance. Elle peut alors lever le masque impersonnel de sa grand-mère, découvrir sa tendresse et sa sollicitude. Le roman s'achève ainsi avec une lettre de gratitude qu’elle lui adresse au paradis.

« L’écriture, c'est le reflet d'une vie. Mon écriture n'est pas encore aboutie. Mais c'est la mienne sans doute. Je l'ai enfin trouvée. Soyez heureuses, Tante Sushiko et toi, au paradis. »

Cette dernière lettre se termine par un désir, celui d'écrire à la mère absente. Peut-être est-ce, pour Hakoto, le dernier visage à retrouver, mais aussi le tout premier miroir des reflets de son âme.



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