par Olivia Cahn | 11 Novembre 2017

A l'heure où les tablettes, ordinateurs et téléphones portables envahissent notre espace social et privé, dévorent le temps de nos enfants et adolescents (quoique ils ne sont pas les seuls), l'écriture manuscrite est-elle devenue désuète, obsolète ?

Souvent déconsidéré, qualifié quelquefois de sciences des ânes par son aspect scolaire et répétitif, l'apprentissage de l'écriture n'a pas toujours été valorisé comme sa soeur apparentée la lecture. Les méthodes d'enseignement de l'écriture ne sont pas légion et se font souvent de façon empirique. "J'enseigne l'écriture comme on me l'a enseigné" m'a t-on souvent dit.

Quand elle se fait calligraphie, s'enlumine et revêt de belles formes, l'écriture acquiert ses lettres de noblesse.

Mais l'écriture n'est pas que réalisation de belles formes, c'est avant tout une gestuelle, un mouvement, comme en témoigne son étymologie grecque et latine. Ecrire, c'est écorcher, égratigner, graver des signes. De l'os à la feuille de papier, en passant par la tablette d'argile, le papyrus, le parchemin, la peau de mouton, nombreux sont les outils utilisés pour inciser, tailler, tracer la matière. Le stilus devient stylo pour permettre d'inscrire sa marque et son style.

Ecrire implique un mouvement corporel en prise avec la matière pour transcrire une pensée à travers l'agilité de la main.

"Ecrire est c'est art ingénieux...de peindre la parole et de parler aux yeux et par des traits divers de figures tracées, donner de la couleur et du corps aux pensées".

L'écriture est donc multisensorielle. Elle concerne la vue par la trace qu'elle laisse au regard, le toucher par le contact avec la feuille et le stylo, l'auditif par le son qu'elle retranscrit. Et c'est grâce au mouvement que les enfants font l'expérience sensible et concrête des propriétés plurimodales des lettres et reconnaisent leur son, leur forme, leur orientation dans l'espace.

Selon les scientifiques JL. Velay et M. Longchamp, chargés de recherche au CNRS, à l'institut des Neurosciences Physiologiques et Cognitives à Marseille ^{[1] [2]}, le geste de l'écriture manuscrite, de part sa répétition, s'engramme dans différentes régions cérébrales et dans une mémoire corporelle qu'ils dénomment mémoire sensori-motrice. Ils expliquent que l'apprentissage de l'écriture dure en moyenne six ans, car les processus de cette mémoire sont lents à se stabiliser. Mais qu'une fois stabilisée, cette mémoire est acquise durablement. Un peu comme la bicyclette, l'apprentissage de l'écriture ne s'oublie pas facilement.

Selon ces mêmes auteurs, le mouvement de l'écriture participe à la mise en place de l'association entre la forme visuelle de la lettre, son son, et le mouvement qui permet de l'écrire. Chaque lettre a un mouvement unique, un peu comme un patron moteur spécifique, que l'enfant à apprendre.

L'apprentissage de l'écriture au clavier est différent car la relation entre le mouvement sur le clavier et la forme de la lettre est arbitraire. "Un mouvement identique peut aboutir à produire deux lettres différentes et inversement la même touche peut être atteinte par des mouvements différents". "Rien dans le mouvement des touches ne renseigne sur la configuration spatiale ou l'orientation de la lettre formée".

Ainsi, l'écriture manuscrite aide à la reconnaissance des lettres, de leur forme, de leur son, de leur orientation spatiale. Et cette aide est non négligeable dans la reconnaissance des lettres lors de la lecture.

Une période critique de l'apprentissage de l'écriture manuscrite s'ouvre à partir de l'âge de six/sept ans jusqu'à la fin de l'adolescence, comme une fenêtre temporelle disponible pour l'acquisition des mouvements fins des doigts et du poignet, au fur et à mesure de la maturation graduelle des structures neuronales contrôlant la motricité fine.

En conclusion, il est urgent de ne pas se précipiter à choisir entre écriture manuscrite et clavier, tant les deux apprentissages ne font pas appel aux mêmes processus cognitifs et cérébraux, qui méritent d'être approfondis par les découvertes récentes neuroscientifiques.

1. ↑ Clavier ou stylo : comment apprendre à écrire ?
2. ↑ De la plume au clavier : Est-il toujours utile d’enseigner l’écriture manuscrite ?